Négociations internationales: entre secret et transparence

Les négociations commerciales de l’Union européenne, menées par la Commission, ont récemment fait l’objet de décisions surprenantes: à deux reprises, en décembre puis en mars, les instructions données aux négociateurs ont, sur demande de la Commission et avec l’accord des États membres, été rendues publiques. Sous la pression des lobbies et des ONG, favorables à cette plus grande transparence, les mandats des négociations TTIP (entre l’UE et les États-Unis) et TiSA (négociation sur les services entre 50 pays du monde) ont été placés sur le site de la Commission. Or l’Union européenne est la seule au monde à agir ainsi. Fallait-il aller si loin?

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Négocier à tous vents

TISALe 10 mars dernier, l’UE rendait public, sur internet, le mandat de négociation commerciale donné à la Commission en 2013 sur l’accord dit TISA (Trade in services agreement), grande négociation multilatérale sur les services actuellement en cours avec 22 autres pays. C’est la deuxième fois qu’on dévoile ainsi un mandat, après celui du mandat TTIP en décembre. Etrange phénomène, non?

Certes, cette mise en transparence tente de répondre à une préoccupation ancienne: est-il légitime que des démocraties négocient en secret? La pression des ONG a été si forte, la contestation de la négociation euro-américaine si gênante, que la Commission a préféré demander au Conseil l’autorisation de dévoiler ses instructions, pour faire taire les critiques et répondre à ce besoin de transparence de certains. Continuer la lecture de « Négocier à tous vents »

L’Europe s’invite à Hénin-Beaumont

En ce début 2015, l’Atelier-Europe sort des sentiers battus. Outre les traditionnels voyages dans les capitales européennes, nous avons en effet décidé cette année de parcourir notre propre pays, pour rencontrer mieux nos compatriotes, et confronter notre regard sur l’Europe avec celui de nos contemporains dans les régions.

Label_anglaiseA mi-chemin de Paris et de Bruxelles, donc, après avoir consulté les statistiques des plus faibles participations aux élections européennes (38,5 % en l’occurence), nous nous rendions, ce 15 janvier au soir, en la noble ville de Hénin-Beaumont (27.000 habitants). Quoi de plus stimulant pour nous que ce bout de Nord-Pas-de-Calais au passé illustre (la vie des charbonnages) mais à l’économie difficile (seulement 40% d’actifs aujourd’hui), au symbole frappant (le résultat des dernières municipales) mais aussi aux anecdotes glorieuses (en 1870, Hénin fut la seule ville de France défendue avec succès par ses habitants contre les armées allemandes).

Notre débat sur l’Europe se déroule dans un café au look irlandais (merci le traité de Lisbonne) et dénommé « Label anglaise » (merci le référendum britannique de 2017). Nous voilà au cœur du sujet.

L’un des beaux moments dans un débat est toujours celui où les participants quittent le terrain du déjà-vu et des postures pour donner leur avis personnel. Or c’est bien ce que nous avons vécu dans ce mémorable café, nous cinq (Jérôme, Michaël, Raphaël, Quentin et Emmanuel) et la petite vingtaine de personnes venues nous rejoindre. Un grand merci à Bernard, notre guide, notre intermédiaire, qui nous présentait à cette assemblée, non d’ailleurs sans nous avoir fait visiter la ville peu avant.

Un vrai débat interpersonnel, donc, où nous avons pu délaisser « ce que les médias disent de l’Europe » (en mal, forcément) pour aller vers « ce que nous ressentons et ce que nous voudrions qu’elle soit ». Le débat fut largement dominé par les questions économiques et sociales et peu, ou pas, finalement, par les questions migratoires dont on aurait pu croire qu’elles soient ressenties dans le Nord. Bruxelles est-elle « la pire des oligarchies », comme on l’a entendu brièvement, ou un projet « jamais vu sur la terre, et dont on peut être fier » ? Faut-il accuser l’Europe de ce qu’elle ne fait pas (elle n’a pas sauvé les charbonnages, par exemple) ou espérer qu’elle fasse plus (pour la jeunesse, par exemple). Une Europe fiscale et sociale nous manque, oui, conviennent les participants. Mais n’est-ce pas alors qu’il nous faut plus d’Europe ?…et si c’est le cas, de quel type  : une « Europe politique » ou une Europe confédérée ? je vous laisse imaginer la suite !

Toutes les questions, certes, n’ont pas trouvé leur réponse dans ce café de la place Wagon à Hénin. Mais le déplacement, pour nous autres de Paris et de Bruxelles, en valait largement la chandelle. Un sentiment d’ouverture et de nouveauté. Merci, Héninois et Héninoises que nous avons pu croiser le temps d’une soirée ! La suite, dans une autre ville d’un tour de France qui ne fait que commencer.

Emmanuel Vivet

Poésie des organigrammes : le collège se plie en 7

Avez-vous remarqué comme la presse relate les Conseils européens mais jamais les réunions du Collège des commissaires? Pourquoi ne parle-t-on jamais de l’organe suprême de la Commission?

Le président Juncker, semble-t-il, a décidé de s’attaquer au fonctionnement interne du Collège, et les organigrammes que l’on trouve sur le site de la Commission donnent une idée de la révolution qui vient de se produire au Berlaymont. Nous disons: tant mieux!

Le problème était que dans sa forme « barrosienne », le Collège n’est réputé ni pour ses débats internes, ni inversement pour son unité. On écoute le président ou les commissaires, pas le débat. La Commission n’est guère collégiale. Ces dernières années, avec les élargissements successifs, c’est même plutôt la dérive gouvernementale de l’institution qui a été constatée. Continuer la lecture de « Poésie des organigrammes : le collège se plie en 7 »

Élargissement à la Croatie : le silence des uns fait le pouvoir des autres

Figaro-130722bLe 1er juillet 2013, la Croatie devient le 28ème membre de l’Union européenne, dix ans après la reconnaissance de sa candidature. Zagreb sera peut-être un jour suivi de la Serbie, qui a obtenu le statut de candidat en 2012. Quant à l’Islande, en île qu’elle est, elle hésite. Ainsi, malgré le poids de la crise économique et sociale sur l’agenda européen, l’élargissement de l’Union continue. À l’est du continent, des Européens attendent leur entrée dans la plus puissante et la mieux intégrée de toutes les unions régionales du monde. N’entrons pas, ici, dans le redoutable débat sur l’adhésion de la Turquie ; ni dans celui concernant la Bosnie, le Kosovo ou la Macédoine. À l’ouest, la « fatigue de l’élargissement » fait son œuvre : on ne voit pas bien quel pays, après la Serbie, pourrait adhérer rapidement. Il est possible que la porte se referme pour quelques temps.

Examinons plutôt l’une des conséquences méconnues de l’élargissement : le changement qu’il introduit au sein du Conseil, qui reste la principale instance de décision européenne. Car la présence d’un grand nombre de « petits » pays – ce qualificatif est un « gros mot » à Bruxelles mais, par souci de clarté et sans intention péjorative, faisons avec – autour de la table des négociations influence leur déroulement et, partant, façonne leurs résultats.

Ces « petits » États pèsent chacun moins de 10 voix, sur les 345 distribuées autour de la table. Ainsi la Croatie, qui se classe au 21ème rang des États membres (4,2 millions d’habitants), détient, comme l’Irlande, 7 droits de vote au Conseil. Les « grands » pays comme la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni en détiennent chacun 29. Depuis l’élargissement de 2004, les « petits » pays sont passés de quatre (Danemark, Finlande, Irlande et Luxembourg) à onze, avec les pays orientaux, Malte et les États baltes. Soit désormais un bon tiers de la table. Cette multiplication amène une fragmentation croissante des débats.

La question n’est pas tant de savoir de combien de voix dispose chaque pays, mais comment il pèse sur les débats : ses délégués peuvent-ils, en fait, intervenir ? Ont-ils les ressources dans leur capitale pour formuler des contre-propositions, gages d’une influence sur la négociation ? Ont-ils les leviers pour construire des alliances ? Et même : ce pays a-t-il lu tous les documents en discussion et a-t-il une opinion sur chacun d’eux ? Quand les sujets techniques – de la double coque des pétroliers à la dernière étude OGM – s’enchaînent à haute vitesse, il n’est pas facile de suivre le rythme.

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